Ce dimanche 26 novembre 2023, c'est la Journée mondiale des aides-soignant·e·s.

Le projet de recherche ARAS analyse les réseaux d'aide et de soins et leur utilité. C'est donc l'occasion de découvrir l'article publié à ce propos dans le mook Édith 7 !

S’ORGANISER EN RÉSEAUX POUR CONSOLIDER LES LIENS?

ARAS: UNE ANALYSE UTILE DANS LES RÉSEAUX D’AIDE ET DE SOINS


Les pratiques en réseaux sont aujourd’hui devenues incontournables dans les champs social et sanitaire. Si, pour les professionnels de l’aide et du soin, elles s’élaborent afin de faire face à la complexité des situations, elles sont aussi fortement recommandées par les politiques publiques. Comment interpréter ces impératifs publics qui visent à rendre les parcours d’aide sociale et de soins davantage maîtrisés, qualitatifs et efficients ? Comment les professionnels, qui rencontrent une population marquée par la précarisation et exprimant de multiples souffrances sociales, reconnaissent-ils la place de la personne au sein de ces réseaux ?

De nombreuses années de pratiques, notamment dans les Maisons Médicales à titre d’intervenantes sociales et d’infirmières en santé communautaire, nous ont donné l’occasion de réfléchir aux enjeux de ces réseaux où des professionnels et usagers collaborent de manière interdisciplinaire et intersectorielle. C’est au départ de nos fonctions de maîtres-assistantes au sein des formations d’Assistant·e social·e et d’Infirmier·ère en Santé Communautaire que nous sommes engagées depuis septembre 2020 dans une recherche de trois années sur l’analyse des pratiques de réseau dans les champs de l’aide et des soins. Un premier temps de recherche a été consacré à l’exploration théorique et bibliographique du sujet afin d’établir des typologies et balises communes. Dans un second temps, nous avons mené des entretiens qualitatifs approfondis auprès d’un panel de sept intervenants aux profils variés actifs sur le territoire liégeois, qui occupent soit la fonction de coordination d’association de patients, soit celle de coordination de réseaux psycho-médico-sociaux agissant dans le milieu de vie comme à l’hôpital. À cela s’ajoutent des praticien·ne·s de terrain du secteur psycho-médico-social. Les premières analyses de ces entretiens nous permettent d’établir un relevé des contraintes et dépendances qui mettent en évidence les enjeux des pratiques de réseau, mais également des stratégies mises en place par les acteurs concernés pour réduire les dépendances auxquelles ils sont confrontés.

RELEVÉ DES CONTRAINTES ET DÉPENDANCES

Cinq grandes catégories de contraintes et dépendances ressortent de nos entretiens. Une première concerne les « configurations institutionnelles et organisationnelles » au sein desquelles les acteurs négocient leur participation. Les enjeux liés à cette première catégorie concernent le choix des modes de gouvernance des réseaux et le phénomène de concurrence dû aux chevauchements de territoires et de missions qui peuvent entraîner flou et confusion.

Une seconde catégorie a trait aux «pratiques professionnelles » où se confrontent les multiples postures et métiers. Les acteurs y relèvent le risque d’une perte de sens lorsque le réseau ne fonctionne plus que pour lui-même. Une troisième catégorie renvoie à la reconnaissance de la «place de l’usager » au sein des réseaux.

Les savoirs expérientiels étant encore insuffisamment pris en compte dans les interventions, le risque est grand de décider pour l’autre et de considérer sa présence comme seul gage de bonnes pratiques sans véritablement chercher les conditions de son émancipation.

Une quatrième catégorie relève des politiques publiques où des enjeux de reconnaissance financière et de légitimation marquent les collaborations. Certains acteurs espérant l’effet transformateur du réseau dans le fonctionnement même des institutions, et d’autres la reconnaissance des pratiques intégrées au milieu de vie.

Une dernière catégorie, la cinquième, traite de « l’engagement dans ces réseaux» en termes de valeurs qui soutiennent l’action. S’il s’agit, au sein de ces pratiques, de «penser autrement l’accompagnement » et d’explorer les « chemins de traverse», le travail en réseau se situe souvent entre « tension et audace».

L’idée soutenue étant de pouvoir quitter les logiques institutionnelles, parfois totalisantes, afin d’entrer dans des logiques d’ouvertures orientées vers une proximité, tout en respectant le temps nécessaire au tissage de la relation.

DES STRATÉGIES VARIÉES

Nous nous sommes ensuite intéressées aux stratégies des acteurs qui tentent de retrouver un équilibre dans la relation d’aide et de soins au sein de ces différentes pratiques de réseau, alors que l’accès aux soins et aux droits sociaux se trouve aujourd’hui entravé par la perte de contact et de lien, par la fracture numérique et par la reprise de postures dominantes dans les institutions.

Ces stratégies identifiées s’orientent principalement selon deux axes : un premier concerne la transformation des contextes, et un second vise le changement des pratiques. Les stratégies de transformation des contextes se traduisent par la création de nouvelles structures (comité d’usagers au sein des hôpitaux, associations de pairs aidants, assemblées participatives, etc.) et de nouvelles pratiques dépassant les cadres institutionnels pour reconnaître davantage la place de l’usager (l’approche des cliniques psychosociales, des cliniques de concertation, la mutualisation des compétences d’expertise, la mise en place de lieux de croisement entre savoirs expérientiels et professionnels, etc.). Elles peuvent également prendre la forme de lobbying politique et d’actions collectives soutenues par la mutualisation des moyens financiers.

Les stratégies de changement des pratiques s’illustrent, elles, dans la formation et l’utilisation de nouveaux outils (par exemple, pour l’analyse des besoins et du développement du pouvoir d’agir ou même pour l’éducation thérapeutique du patient).

Les acteurs vont aussi accompagner l’usager en étant davantage à l’écoute de ses fragilités, et construire le réseau en développant des postures professionnelles «d’allié qui ne juge pas ». Il s’agit également de pouvoir activer le bon réseau au bon moment et d’améliorer concrètement les situations rencontrées en défendant l’accès aux droits sociaux et aux soins.

Pour conclure, nous relevons la nécessité d’explorer davantage les pratiques de réseau et la reconnaissance des savoirs expérientiels au sein des formations adressées aux futurs professionnels de l’aide et du soin. Un troisième temps de notre recherche repose d’ailleurs sur la mise en œuvre d’une approche en « croisement des savoirs »2 où se rencontrent usagers, professionnels et étudiants sur un territoire donné.


2. ATD Quart Monde. (2009). Le Croisement des savoirs et des pratiques : quand des personnes en situation de pauvreté, des universitaires et des professionnels pensent et se forment ensemble. Montreuil: Éditions Quart Monde.


Cet article est extrait du mook Édith 7




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